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Tout le monde est confronté à la comptabilité, car celle-ci est présente partout dans le monde du travail, dans la vie des nations, dans la finance internationale, et même dans la vie personnelle, à un niveau plus primitif. Chacun d’ailleurs, reconnaît instinctivement son utilité, tant son rôle semble évident: compter l’argent. Mais pourtant, toute personne s’y intéressant d’un peu plus près est en général frappée par l’inextricable complexité de la comptabilité à partie double, et ses règles complètement contre-intuitives, en particulier l’inversion du signe des comptes de trésorerie où l’argent encaissé apparaît comme un débit et l’argent dépensé comme un crédit, au mépris de tout sens commun. Il semble au profane qu’on aurait pu organiser plus simplement et plus clairement la tenue des comptes. D’ailleurs, aucune réponse claire et aisément concevable n’est en général donnée à l’étudiant en comptabilité qui doit se débrouiller avec des théories aussi fumeuses que celles de « la personnalité des comptes » pour expliquer les fondements de sa discipline. L’étudiant persévérant, cependant, qui malgré ces difficultés insiste dans l’apprentissage de cette science apparemment illogique et inexplicable, réalisera à l’usage sa grande efficacité pratique, et il sera alors séduit par cette mécanique mystérieusement harmonieuse, qui lui permet de tenir ses comptes avec une grande rigueur et des vérifications sûres. Cependant, les fondements de sa science lui échappent dans ce cas, même si cela ne l’empêche pas d’être un très bon comptable, à l’image d’un très bon conducteur de voiture qui ignore le fonctionnement d’un moteur, mais qui en a appris les lois, en connaît et en anticipe les réactions.

La comptabilité primitive
Pourtant, cette situation ne satisfait guère le rationalisme scientifique du comptable opiniâtre (à l’image de votre serviteur), et à juste raison, car les fondements de la comptabilité à partie double n’ont rien de magiques, et sont relativement simples à expliquer à partir de la description de leur origine historique. Mais aussi surprenant que cela puisse paraître, ces origines sont malheureusement ignorées la plupart du temps par les enseignants, par les comptables, par les économistes ou par les financiers. Jean Fourastié, grand économiste et grand comptable, nous a décrit ces origines dans un petit livre bien trop méconnu [1] qui permet de s’approprier les fondements de la comptabilité à partie double de façon claire et logique. La maîtrise de la comptabilité est alors une arme efficace pour comprendre les phénomènes économiques et financiers du monde moderne.
La comptabilité à partie double telle que nous l’utilisons aujourd’hui a donc été inventée en Italie au cours des XIIIe et XIVe siècles. Auparavant, des comptabilités complexes pouvaient être utilisées, comme par exemple dans l’Empire Romain, mais elles demeuraient des comptabilités primitives, au sens où elles n’avaient pas franchies le pas décisif de la partie double, qui a permis les énormes évolutions ultérieures. Ces comptabilités primitives étaient aussi plus intuitives pour le commun des mortels, elles procédaient de la même logique que celle qu’utilisent souvent de nos jours les particuliers pour tenir à jour leurs recettes et leurs dépenses: une colonne dépense, une colonne recette, le tout devant nécessairement être équilibré ou présenter un solde positif. On peut prendre un exemple simple:

Ici aucune difficulté ne se présente, le total des recettes moins le total des dépenses nous donne le solde positif. C’est la comptabilité de M. Toutlemonde, et c’est aussi le principe de la comptabilité primitive qui fut en vigueur jusqu’à la fin du Moyen-Age partout dans le monde.
La montée du besoin de crédit et l’invention des comptes de tiers
C’est ce type de comptabilité qui était utilisé jusqu’au 12ème siècle par les comptables d’Italie, pays qui était à cette époque en passe de devenir la tête de pont du capitalisme mondial. Dans ce système, il était déjà possible pour un commerçant de faire crédit à l’un de ses clients. Dans ce cas, il notait dans un carnet, à la façon d’un particulier aujourd’hui, l’argent que lui devait untel, ou qu’il devait à tel autre. Mais cela n’était pas inscrit dans sa comptabilité, puisque cela n’affectait pas immédiatement sa trésorerie. Aussi, tant que le crédit à un tiers restait chose exceptionnelle, la comptabilité n’avait pas à évoluer. Cependant, avec l’expansion du capitalisme marchand, et la complexification des échanges menée par les commerçants italiens, la demande de crédit augmenta, et il devint impossible, pour le chef d’entreprise, de gérer seul l’état des dettes et créances de son entreprises. C’est la raison pour laquelle il demanda à son assistant financier, le comptable, de gérer à sa place ces engagements. Pour répondre à cette demande, le comptable procéda simplement, comme n’importe qui le ferait instinctivement: il établit un compte pour chaque tiers débiteur ou créancier avec deux colonnes: avoir et doit, ou crédit et débit. Ces comptes étaient tenus dans le sens du correspondant, afin que celui-ci puisse voir immédiatement ce qu’il doit à l’entreprise ou ce qu’elle lui doit:

Un compte de ce type retraçait l’ensemble des opérations de crédit pour chaque correspondant. Ces comptes sont appelés a la venezana, car ils ont été inventés à Venise au cours du 13ème siècle. En effet, les premiers comptes de correspondants ont été retrouvés dans des livres de compte de la cité des Dauges et datent de 1210.
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