Enquête par Juan Miguel Pérez pour le Monde Diplomatique.
Source : https://www.monde-diplomatique.fr/publications/manuel_d_economie_critique/a57041
L’économie contemporaine érige l’échange marchand en évidence et l’argent en cible universelle des désirs. Certains groupes sociaux se sont néanmoins organisés autour d’autres valeurs que celle de l’accumulation. Ainsi de l’honneur – propriété unissant l’individu à la communauté qui la lui reconnaît – dans les sociétés kabyles étudiées par le sociologue Pierre Bourdieu.

Pressage traditionnel de l’huile d’olive, Kabylie, Algérie, 2013.
Photographie de Ferhat Bouda. © Ferhat Bouda / VU Distribution.
Dans certaines sociétés traditionnelles et communautés pré-capitalistes, l’économie qui réglait les échanges entre les personnes n’était pas fondée sur l’argent comme lubrifiant du commerce des biens et des services, mais plutôt sur l’honneur comme fin et moyen d’exister dignement.
Tous les matins, on échange avec d’autres un « Bonjour », un « Salut ! », un « Ça va ? », un « Au revoir », des bisous, des accolades. Ce ne sont pas que de simples mots ou gestes. Chacune de ces expressions de convivialité exprime des actes cruciaux pour la vie en commun, qui permettent à chacun de se sentir respecté. Pour qu’il en aille ainsi, ces interactions doivent obéir au principe de réciprocité entre le donateur qui honore et le donataire qui rend l’honneur. Ainsi s’accomplit la séquence don - contre-don. Si quelqu’un manque à ce « contrat social », l’honneur intime de celui qui commet la faute se transforme en déshonneur.
L’échange ne se réduit pas au troc des objets. C’est aussi la voie par laquelle les membres d’une communauté communiquent et acquièrent un statut symbolique, l’« honneur », « valeur qu’une personne possède à ses propres yeux, mais aussi au regard de ceux qui constituent sa société », selon la définition de l’anthropologue Julian Pitt-Rivers. Marcel Mauss, de son côté, voit dans l’échange une prestation sociale visant davantage « à être qu’à avoir » (Essai sur le don).