Ici, postez en commentaire les définitions du terme, les théories et controverses.
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Les Chaudronneries
17 avr. 2020
Trouver le bon équilibre entre les différentes formes de solidarité
Notre blogueur Nicolas Quint s'est emparé du sujet de sciences éco et sociales «Comment la solidarité s’exerce-t-elle en France aujourd’hui?» Copie rendue en 2 heures 30 chrono, pause thé/clope comprise.
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Ils sont neuf à passer le bac pour Libé.fr cette année, toutes matières confondues ou presque. Aucune autre consigne que celle de rendre «en temps réel» un exercice libre plutôt qu'un corrigé. Nous avons collé l'épreuve des SES (sciences économiques et sociales) à Nicolas Quint, conseiller financier et tenancier d'un blog sur Libé, «Résultat d’exploitation(s)». Et bachelier discipliné: copie garantie sans recours à la calculatrice et encore moins à Google.
Sujet de la dissert, avec documents (à voir ici en pdf): «Comment la solidarite? s’exerce-t-elle en France aujourd’hui ?»
La documentation fournie avec le sujet pose le problème de la dichotomie entre deux modes de solidarité: l'une basée sur un mode de redistribution fondée sur les cotisations sociales obligatoires et une autre basée sur des redistributions volontaires s'exerçant dans le cadre de l'entourage (solidarités inter-générationnelles) ou de la collectivité (dons, humanitaire...).
Ces documents centralisent par contre les contributions sur le travail (cotisations sociales) en faisant peu de cas des autres formes d'apports (impôts et taxes sur le travail mais aussi sur le capital ou les revenus du capital ce qui élargit le champ des possibles).
Il est évident que cette question traverse tout les pays «avancés» pour le dire court ou tout du moins les pays les plus industrialisés et où des modèles sociaux sont en place. Et notamment la France et son modèle social hérité de l'immédiat après-guerre.
La question est centrale car elle touche les fondements de la vie collective. Et elle est fortement clivante entres les individus, les opinions politiques et les pays (les modèles sociaux étant très différents allant des très redistributifs modèles scandinaves aux très individualistes modèles anglo-saxons où s'exercent d'autres formes de solidarité passant hors des fourches caudines de l'Etat et de l'administration).
Parlons de «solidaritéS»
Néanmoins, il est difficile de raisonner de façon globale. On ne peut parler de «solidarité» mais de «solidaritéS». Si l'on regarde les graphiques fournis avec le sujet, on peut distinguer les grandes masses suivantes :
Retraites : 38%
Maladie/invalidité/accidents du travail/maternité : environ 37%
Aide aux plus démunis : 11%
Politique familiale : 8%
Chômage : 6%
Ces différentes solidarités ont bien entendu des points communs mais aussi beaucoup de différences sur lesquelles il faut s'attarder pour bien cerner le problème.
I) Première solidarité, les retraites
Il s'agit d'une forme de solidarité inter-générationnelle et sans doute la plus ancienne. Elle a de tout temps été exercée (et l'est toujours) dans les sociétés traditionnelles, avec un Etat faible et peu centralisé, au sein de la cellule familiale. Les parents élèvent leurs enfants qui s'occupent ensuite à leur tour de leurs parents quand ceux-ci ne sont plus en âge d'être productifs. Cette solidarité est donc basée sur une réprocité, l'intérêt des membres de la société étant convergent.
Tous les individus ont été jeunes et donc dépendants de leurs parents. Tout individu est appelé — en principe — à devenir vieux et à dépendre de ses enfants. Les modèles étatiques mis en œuvre ont pour principe de reproduire plus ou moins fidèlement cet état de fait à l'ensemble d'une société. Pour cela, deux grands modèles sont possible :
La retraite par répartition: c'est le modèle le plus fidèle au modèle traditionnel. Par ce biais, les actifs (généralisation des «enfants») paient pour les retraites (des «parents»)
La retraite par capitalisation (fonds de pension): ce modèle brise le modèle traditionnel. Il part du principe que l'individu ne doit compter que sur lui-même pour ses vieux jours. Aussi, il doit épargner de quoi subsister lorsqu'il aura fini de travailler. Dans ce mode, on n'est plus dans une logique solidaire mais plutôt dans un glissement vers l'épargne (auto-assurance) ou une logique assurantielle (assurance via un tiers)
a) Les situations selon les pays
Les pays anglo-saxons (Angleterre, Etats-Unis) ont massivement adopté le système par fonds de pension tandis que les pays d'Europe continentale ont eux opté pour la répartition. Diviser le monde selon cette ligne de fracture est évidemment fortement réducteur. Il est possible de mixer les deux modes au sein d'un même pays.
La France a fait un petit pas dans cette direction en mettant en œuvre un fonds de pension réservé aux fonctionnaires (Prefon) et en mettant en place des systèmes de cotisation-retraites avec avantages fiscaux.
De toute façon, un système par répartition coexiste toujours avec de la capitalisation, les individus épargnant de leur propre initiative (et se constituant un patrimoine). De la même façon, le modèle par capitalisation est rarement «pur». Aux Etats-Unis, la répartition existe (Social Security) même si elle est particulièrement faible (7% de cotisations).
b) Les défauts du système par capitalisation
Les fonds de pension peuvent présenter plusieurs défauts. Outre celui abondamment cité de l'absence de solidarité, il y a le fait qu'une société peut présager de son espérance de vie moyenne mais un individu ne le peut pas. Dès lors, on peut constater des comportements soit de sous-épargne (entraînant une pauvreté subséquente qui pèsera sur l'individu et/ou la société) ou de sur-épargne qui ralentira la croissance économique par «excès de précaution».
Les pays anglo-saxons, qui ont adopté dans leur majorité le modèle par capitalisation, pèchent en général par sous-épargne (taux d'épargne très faible voire négatif aux USA et en Angleterre et endettement très fort des ménages). Dès lors, il y a un risque fort de paupérisation des classes âgées et d'impossibilité de traitement des problèmes liés à l'âge (dépendance notamment).
Par ailleurs, les fonds de pension posent le problème de la gestion des fonds accumulés. Ceux-ci ne peuvent être gelés sous peine d'être érodés par l'inflation. Il est alors nécessaire de les placer sur les marchés financiers pour faire fructifier cette accumulation d'argent. Cela pose des problèmes de diversification (l'affaire Enron a montré la ruine des futur-retraités ayant massivement placé leur épargne-retraite en actions «maison») et de la volatilité des marché.
Si le placement sur les marchés financiers montre, de façon rétrospective, un rendement relativement stable et important, le salarié peut être amené à différer son départ en retraite de plusieurs années après un krach boursier.
Enfin se pose la question de l'influence sur l'économie globale des fonds de pension dont les portefeuilles peuvent devenir énormes: dès lors, leurs choix d'investissement influent sur le monde entier (le retraité californien dont la retraite est gérée par Calpers peut modifier indirectement la répartition capital/salaires d'une entreprise du CAC40).
c) Les défauts du système par répartition
Mais le système par répartition n'est pas absent de tout reproche. Son principal défaut est de très mal gérer les transitions démographiques. On le voit avec l'avènement du «Papy-boom» (corollaire du Baby-boom d'après-guerre). Par ailleurs, il peut éroder, en cas de déséquilibres, la confiance des individus dans le système.
C'est le cas aujourd'hui en France. Les jeunes cotisants sont de plus en plus nombreux à penser qu'ils cotisent «à perte» et n'auront pas de retraite digne de ce nom. Or, le système est basé sur la confiance et la réciprocité. Il court donc un risque majeur.
II) Deuxième solidarité, la maladie
Je traite ici de façon indifférente la maladie, l'invalidité, les accidents du travail, qui constituent des «accidents de la vie». Je range dans la même catégorie la maternité qui ne peut évidemment être assimilée à un accident !
On a ici également une forme de solidarité naturelle mais à un moindre titre que pour les retraites. L'aide au malade remonte sûrement aussi loin que la solidarité inter-générationnelle mais à un moindre titre.
Dans des sociétés anciennes agricoles, le malade pouvait faire porter un poids impossible à prendre en charge à une famille. Dès lors, il fallait des structures palliatives (monastères, couvents, hôtel-dieu financés par les héritages des plus riches, etc.).
Autre différence notable : chacun peut s'identifier et se projeter dans la retraite. S'il est bien entendu difficile de tracer une forme linéaire de la vie d'un être humain, chacun imagine sa vie en temps bien définis «enfance / études / travail / retraite». Pour la maladie et les autres «accidents de vie» il en va autrement puisque ces faits se produisent de façon plus ou moins aléatoire et ne sont pas prévisibles. Ainsi, la solidarité peut être érodée par le fait qu'un jeune homme en pleine santé ait du mal à concevoir le paiement de lourdes charges sociales au profit de malades dont il ne s'imagine pas (ou ne veut pas s'imaginer, le déni a ici une part non négligeable !) être un jour concerné.
Autre question centrale: celle de la responsabilité individuelle. En effet, les comportements individuels n'ont pas leur place dans les solidarités type «retraite». Au contraire, les comportements individuels à risque (alcool, cigarette...) pénalisent l'individu mais favorisent la société.
Dans la maladie, c'est l'inverse. Dès lors, un risque existe de voir se développer des formes de discrimination de traitements (et/ou de redistribution) en fonction du comportement de chacun (fumeur ou non, buveur ou non, obèse ou non, ...). Soit un glissement du solidaire vers le moral. De l'objectif au jugement. On mesure ici le rôle fondamental d'une solidarité nationale qui va pouvoir supprimer ou gommer cet aspect moral alors qu'une privatisation de ses services va inévitablement entraîner (à plus ou moins long terme) un glissement de cet ordre.
a) Situations selon les pays
Là encore, on peut distinguer les deux cas selon les pays : solidarité nationale ou solidarité individuelle (logique assurantielle).
Le cas américain (avant réforme Obama) est éclairant : seuls les plus démunis (MEDICAID) et les plus âgés (MEDICARE) sont couverts par l'Etat (soit un glissement vers l'Assistance aux plus démunis). Pour le reste, chaque individu va s'assurer auprès de compagnies privées selon une logique personnelle (tarif selon l'âge, le sexe, la santé...).
Par ailleurs, des biais purement assurantiels se mettent en œuvre: limitations de garantie (arrêt d'un traitement de chimiothérapie car le plafond est atteint), franchise (traitements annuels remboursés seulement au-dessus d'un certain seuil). Mais il serait faux de totalement opposer le système américain au système français.
En effet, à côté de la Sécurité Sociale (CNAM) co-existent des mutuelles privées (ou la CMU financée par l'impôt pour les plus démunis). Les remboursements effectués par les mutuelles dans l'ensemble sont en augmentation constante (même si seulement de 10 à 15% au global) à cause des déremboursements partiels ou complets (selon le principe du Service Médical Rendu) et de la mise en œuvre de la «responsabilisation des patients» (logique de paiement minimal de l'assuré que l'on retrouve aux USA sous la forme de «co-pay»).
b) Les reproches récurrents faits au système français
Le reproche fait au système «à la française» (majoritairement géré par la collectivité) est celui de la déresponsabilisation des assurés et donc des abus du système. En effet, l'assuré n'est que très peu (voire pas) impliqué dans le paiement de façon directe (il l'est de façon indirecte via les cotisations) et les systèmes mis en œuvre (carte vitale, tiers-payant) occultent «physiquement» l'aspect monétaire. Des actions sont menées en France pour aller dans le sens de plus de responsabilisation (envoi de relevés).
On pourrait dès lors penser qu'un système «à l'américaine» soit plus économe. Il n'en est rien. La part du PIB consacré à la santé est plus élevée aux Etats-Unis (plus de 12% contre un peu moins de 10% en France) pour une efficacité contestable. Le système assurantiel génère ses propres biais et abus et, pour considérer l'efficacité du système de santé, il faut juger de la demande et de ses moyens (ce que nous venons de faire) mais aussi de l'offre.
Enfin, il y a la question du sens. Le «trou de la Sécu» est devenu quasi proverbial et il est de bon ton de s'en désoler. La question est donc «consomme-t-on trop de santé ?» ou «ne consacre-t-on pas assez de ressources à la santé ?» (ou les deux). La réponse en général apportée est souvent la première : abus du système, surconsommation médicamenteuse, abus de certains actes par les praticiens (césarienne)...
c) Une meilleure santé coûte mais rapporte aussi
S'il est naïf de contester ces aspects et si l'efficacité des systèmes de redistribution n'est jamais neutre dans l'équation, il est également nécessaire de s'interroger sur la seconde partie. En effet, une meilleure santé coûte inévitablement de l'argent mais elle en rapporte aussi. De façon «pure» (années de production, cotisations supplémentaires, ...) mais aussi indirectes (travail bénévole, transmission culturelle ...).
Une année de vie humaine a par ailleurs une valeur subjective mais bien réelle qu'il faut prendre en compte. Des études ont été menées en prenant en compte une valeur de vie humaine «objectivée» de 100.000$/an. Elles montrent que l'optimum pour la société de dépenses de santé ne se situe pas à 10 ou 12% comme actuellement mais plutôt au double ! Dès lors, la question n'est pas de savoir comment réduire les dépenses de santé mais de comment les financer !
Autre poncif à éviter : celui qui voudrait que le vieillissement de la population (lié à l'augmentation de l'espérance de vie) soit à la source de la hausse des dépenses de santé. Cette source n'est que marginale.
L'essentiel de la croissance des dépenses de santé est lié à la mise en circulation de nouvelles pratiques médicales (exemple: les stents ont remplacé les pontages) qui coûtent en général plus cher mais rendent un meilleur service). Par ailleurs, il est montré que, si les dépenses de santé s'accroissent avec l'âge, elles augmentent surtout massivement dans les 12 à 18 mois avant la mort. Or, la mort se «déplaçant» avec l'augmentation de l'espérance de vie, l'effet est neutre. Faut-il pour autant pousser l'euthanasie? Là encore, au-delà de l'aspect moral, des études ont montré l'aspect faiblement prédictif de l'avis des médecins sur la mortalité liée à un traitement (ou à son absence) pour les patients âgés.
III) Troisième solidarité, le chômage
C'est la forme de solidarité la plus fragile car la plus récente. En effet, le chômage massif n'est apparu qu'il y a 35 ans environ et son caractère inéluctable (taux de plein-emploi considéré aux alentours de 4 à 5% de chômage) et non-temporaire plus récemment encore.
a) L'identification crée l'empathie
Aussi, les opinions défiantes à l'encontre des chômeurs sont encore très prégnantes (soupçons d'abus du système, paresse, aspect désincitatif ...). Mais elles régressent devant le fait que de plus en plus de personnes vivent dans la peur d'être eux-mêmes au chômage.
Dès lors, l'identification crée l'empathie et tend à faire espérer un recul de ces comportements. Néanmoins, ce caractère «soupçonneux» dépend aussi de la réalité culturelle de la société. En France, 60% des sondés estiment qu'il est acceptable de frauder le système d'aides contre 5% au Danemark...
Le chômage semble la solidarité la plus facile à régler en termes de volume. En effet, un chômage de 8% implique schématiquement une sur-cotisation de 8% pour ceux qui sont employés. Le problème ne paraît pas insurmontable. Ce sont les variations du taux de chômage qui posent des difficultés. En effet, le système n'est pas en régime stable mais profondément cyclique. Ainsi alternent les phases de stabilité avec les phases de profond déficit. Une gestion rigoureuse, un niveau de cotisations adapté et un système de «fonds de lissage» doivent néanmoins réussir à solutionner le problème.
b) Avantages et inconvénients de la logique assurantielle
Là encore, on peut distinguer la logique de système global géré par l'Etat de la logique assurantielle. La France fournit un bon exemple car elle mixe les deux systèmes.
En effet, des trois types de solidarités que nous avons vu jusque-là, c'est celle qui est la moins généralisée en France. Il existe tout un pan d'individus qui ne peuvent pas participer au système, notamment tous ceux que l'on nomme les TNS (Travailleurs non salariés): dirigeants d'entreprises (de l'entreprise mono-personnel à la multinationale), les professions libérales, les commerçants, les artisans, soit plusieurs millions de personnes.
Cette dichotomie est d'autant plus infondée que les TNS ont un risque structurellement plus élevé de chômage que la majeure partie des salariés (notamment les entrepreneurs). On peut donc s'appuyer sur l'exemple français pour voir les désavantages d'une logique assurantielle. Tout d'abord, elle décourage le risque. Celui qui s'aventure dans une voie plus risquée (changement de métier, création d'entreprise, ...) est pénalisé.
On a donc un effet qui défavorise la créativité et la liberté individuelle. Par ailleurs, un système assurantiel, notamment dans une société comme la France avec une multiplicité de statuts très fragmentés (fonctionnaires, CDD, CDI, intérimaires, ...), augmente les fractures entre les types de salariés. Un CDD connaît plus de précarité qu'un CDI par définition. Dans une logique assurantielle, il sera en plus pénalisé par une cotisation plus lourde et/ou des droits ouverts plus faibles
IV) Quatrième solidarité, l'aide aux plus démunis
Cette forme de solidarité est ancienne mais n'est gérée par les Etats que depuis relativement récemment. Elle recouvre en fait la notion de «charité» qui était faite aux indigents. Elle était avant tout l'apanage de l'Eglise puisque relevant de sa doctrine mais aussi des individus (mendicité, hospitalité...).
On peut être amené ici à faire une distinction entre les solidarités: le chômage et la retraite sont des solidarités du monde du travail. La maladie (sous toutes ses formes) penche plus vers une solidarité globale à la société. L'aide aux démunis dépend de la société tout entièrement. Son financement ne peut donc reposer sur une base de cotisations portant sur le travail mais sur l'impôt.
a) Périmètre difficile à tracer
Le champ de cette solidarité est plus complexe à définir que les précédents. La retraite, la maladie, le chômage sont des états hautement objectivables. Le fait d'être démuni est un état protéiforme qui peut recouvrir de nombreuses réalités en partie subjectives. Son périmètre est également difficile à tracer.
On peut établir un contour en s'appuyant sur les besoins «de base» de l'Homme : nourriture, logement, santé, habillement... A ces subjectivités, s'en ajoute une autre qui est une entrave à la solidarité: celle de savoir ce qui a mis le démuni en situation de l'être. La responsabilité en incombe-t-elle à la société (qui doit alors «réparer») ou à l'individu ? Il est fort probable que la responsabilité soit mutuelle, dans des proportions variables selon les individus. Mais cette question mine la solidarité comme on le voit avec la question des SDF («ils sont dehors car ils l'ont choisi»).
b) Du ressort de l'Etat ou des individus?
Dans ce champ coexiste des dispositifs régis par l'Etat (ASS, RSA Socle, CMU, ...) mais aussi une très forte part supportée par les solidarités inter-individus par l'intermédiaires d'associations ou d'ONG. C'est un bon exemple permettant de s'interroger sur ce qui doit être du ressort de l'Etat et ce qui doit être réglé par les individus eux-mêmes.
L'Etat permet de donner des gages de cohérence globale si le système est bien géré et notamment celui de l'égalité entre individus. Mais un Etat très fort et centralisateur s'occupant de tous les problèmes fait également mécaniquement régresser la solidarité directement adressée par les individus.
Ainsi, s'acquitter de l'impôt sous toutes ses formes (Impôt sur le revenu, TVA, CSG...) ou de ses cotisations sociales est la forme de solidarité la plus active financièrement. Mais l'indirection est telle au sein d'une société de plusieurs dizaines millions de personnes, qu'elle a des revers : impression de trop payer pour des bénéficiaires trop éloignés et indistincts, implication concrète très faible...
De plus, il existe un vrai besoin d'implication concrète «et physique» des individus dans la solidarité (par exemple travail bénévole des jeunes retraités). L'Etat doit donc laisser un espace (et au besoin le réglementer, l'organiser de façon à assurer la transparence et le respect de bonnes pratiques) pour que ces solidarités «actives» s'exercent.
V) Cinquième solidarité, la politique familiale
Cette solidarité est peut-être celle qui a le fondement historique le moins profond. Son but est dual: aider les familles à élever leurs enfants dans les meilleures conditions. Et, plus ou moins directement, promouvoir une politique nataliste. Les solidarités traditionnelles s'exerçaient principalement dans un mode intra-familial. Or, ici, on parle bien d'une immixtion de l'Etat dans la composition même de la cellule familiale.
a) Lisser les inégalités «de naissance»
Outre l'aspect lié au bonheur individuel (le droit à tous de grandir dans des conditions matérielles correctes), l'aide de l'Etat aux familles peut relever de deux buts. Le premier est de lisser les inégalités de chances de réussites sociales à la naissance.
En clair, de «casser» en partie la reproduction sociale. Evidemment, l'aide étant de nature financière et l'usage des ressources n'étant pas contrôlée, son caractère reste éminemment imparfait. Le rôle qu'a le bagage intellectuel et culturel des parents est très certainement au moins aussi fort (sinon plus) que l'aspect purement matériel.
b) L'accès à l'éducation
Le second but est de promouvoir indirectement, dans une société de plus en plus tournée vers le savoir, un accès à l'éducation plus favorable (les conditions financières entrant en ligne de compte dans les scolarisations longues ou dans les conditions de scolarisation des plus jeunes).
Ainsi, cet aspect est par essence récent puisque ce caractère n'était pas fortement utile à la société dans les sociétés massivement agraires.
c) Le poids de la natalité
L'autre but de la politique familiale et notamment l'accroissement fort des aides à partir du troisième enfant est la poursuite d'une politique nataliste.
Traditionnellement, les incitations des Etats en ce domaine avaient pour but soit de créer de la chair à canon pour les guerres soit de recréer une classe jeune active après les guerres. L'arrêt des conflictualités sur le sol européen rend caduc ce besoin. Dès lors, cette politique répond à d'autres problématiques : une logique conjoncturelle (faire plus d'enfants pour payer les retraites, ne pas avoir une pyramide des âges créant une société de « cheveux blancs ») et une logique structurelle (garder un poids démographique non négligeable à l'échelle européenne et mondiale). Les deux logiques sont de mon point de vue erronées : les conjoncturelles correspondent à des transitions démographiques et son par essence temporaire. Tenter de les corriger ne fait que déplacer le problème sans fin. La logique structurelle est vaine tant le poids démographique de la France dans le monde (1%) est déjà faible, notamment en regard des grandes puissances démographiques (Chine, Inde, USA, ...).
Plus globalement, et sans tomber dans un Malthusianisme effréné, la logique de la croissance démographique à tout prix semble tendancieuse puisqu'elle ne peut qu'avoir un terme (la surface de la Terre étant fixe) et qu'elle fait peser plus fortement sur l'environnement (ressources naturelles, énergie fossile, production de CO2, urbanisation, ...). La politique nataliste à tout prix semble donc aujourd'hui semble fondement. Dès lors, le poids (relatif certes) accordé à celle-ci paraît injustifié.
Une bonne politique familiale serait à mon sens celle qui permettrait d'assurer aux femmes (et aux familles en général) un libre choix et qui permette de ne pas avoir un taux de natalité trop bas pour s'assurer qu'il n'y ait pas une cassure démographique trop forte (transition « en douceur »).
d) Les aides aux jeunes mères
Un des arguments qui est souvent donné est que la politique familiale dans son ensemble « marche » en France puisque celle-ci atteint presque le seuil de renouvellement des générations (2.07 enfants/femme) contrairement à certains autres pays européens (Italie, Allemagne) ou le Japon par exemple.
On peut tout d'abord citer le contre-exemple américain qui réussit à garder une natalité très vive malgré une politique familiale extrêmement réduite (on peut certes alléguer que c'est l'immigration qui permet cela mais même les familles américaines vivant sur le sol depuis plusieurs générations gardent une natalité élevée). Surtout, c'est faire fi des aspects culturels. Elisabeth Badinter, dans son livre Femmes et Mères : le conflit, montre la prégnance des aspects culturels dans le taux de natalité. Ainsi, les femmes allemandes ne font pas moins d'enfants quand elles en font.
Mais si 10% des femmes françaises ne font pas d'enfant (par choix ou par contrainte), plus de 20% des Allemandes sont dans ce cas. Et près de 40% des CSP+ allemandes. Ceci tient au rôle que tient la mère dans la société. Plus les attentes de la société (famille, entourage, ...) sont fortes (allaitement long, rester à la maison auprès de son enfant le plus longtemps possible, ...) plus le taux de natalité est faible car la poursuite d'une carrière ne peut se conjuguer avec des enfants (surtout plusieurs). Ainsi, les femmes se retrouvent à choisir entre leur carrière et le fait d'avoir un enfant avec le risque qu'un nombre important d'entre elles optent pour le second choix. C'est le cas en Allemagne ou encore en Italie ou le modèle matriarcal est très affirmé.
L'influence économique la plus importante sur la natalité, attestée par des études, porte sur les aides aux jeunes mères concernant la garde de leur enfant : places de crèche, aides à l'embauche de « nounous », ... Aussi, une politique ciblée sur cet aspect permettrait de se débarrasser des scories natalistes, de conserver un budget raisonnable en ce domaine tout en garantissant l'aspect primordial qu'est le libre choix donné aux parents.
Trouver le bon mix
On voit donc que la question de la solidarité doit se poser sur un mode pluriel :
- Type de solidarité
- Solidarité objectivable (chômage) ou subjective (pauvreté)
- Solidarités dues au hasard, d'ordre systémique ou d'ordre individuel (choix personnels), les trois composantes étant présentes en proportion inégales dans chaque type de solidarité
- Solidarités liées au travail (chômage) ou relevant de la société toute entière (maladie, pauvreté)
Pour chaque type de solidarité, trois type réponses peuvent être élaborées, souvent de façon conjointe mais dans des proportions très variables :
- Logique redistributive : contribution via le travail ou l'impôt et redistribution par l'Etat
- Logique assurantielle : l'individu s'assure contre les risques volontairement et en fonction de sa situation
- Logique inter-familiale : lien de solidarité de la famille, la forme la plus ancienne de solidarité
- Logique inter-individus : solidarité volontaire par le biais d'organisations humanitaires et d'ONG
Les quatre logiques existent dans toutes les sociétés développées. Le « mix français » fait la part belle à la logique redistributive (le « modèle social français ») au détriment de la logique assurantielle (qui existe néanmoins, par exemple par les mutuelles complémentaires ou les régimes de prévoyance). Les logiques inter-familiales sont dépendantes des sociétés (organisation de la cellule familiale avec des typologiques marquées comme le modèle « méditerranéen »). Enfin, la logique « inter-individus » est présente et même encouragée par l'Etat (défiscalisation des dons).
Le principal avantage de la logique redistributive des l'égalité qu'elle confère aux membres de la société. Elle garantit que tous les individus bénéficient des mêmes droits aux mêmes conditions quel que soit son âge, sa santé, ... au contraire de la logique assurantielle qui va pénaliser ceux qui sont déjà pénalisés. L'impasse du « modèle social français » n'est pas à chercher dans les biais de ce système (qui existent comme dans tous les systèmes) mais dans la faillite des promesses. En effet, l'Etat a promu dès 1945 un corporatisme fort qui fait que tout le monde n'a pas les mêmes droits aux mêmes conditions. On peut ici multiplier les exemples à l'infini (différences privé/public, les TNS ne peuvent participer au régime d'assurance chômage, régimes spéciaux de retraite, ...). Ainsi, l'Etat français conserve les biais du système redistributif mais n'en tient pas ses promesses. Il a remplacé les inégalités de la logique assurantielle par d'autres inégalités (de statuts principalement).
Un autre des avantages de l'Etat est l'allocation (théorique) des ressources vers les besoins en fonction du bien commun et dans une vue d'ensemble (ce que l'assurantiel ne vise pas par exemple). On peut citer ici l'exemple du Telethon et de l'affaire « Pierre Bergé », celui-ci contestant la faible place médiatique donnée (et donc les faibles dons) du Sidaction par rapport au Téléthon. Il s'agit là d'un vrai problème mais si Pierre Bergé ne le prend pas dans son ensemble. En effet, l'Etat dispose d'un budget (trop faible) dédié à la recherche médicale publique. Il dispose des informations et de l'impartialité (théorique) pour permettre une allocation des ressources pour le bien commun. Ainsi, il répartira les enveloppes vers le SIDA ou la mucoviscidose en fonction de la prévalence, de la gravité, de la présence d'une voie de recherche prometteuse, ... Le basculement vers une solidarité « inter-individus » remplace l'allocation impartiale par un travail de lobbying où ceux qui ont accès à la ressource médiatique « ont gagné ». En cela, qu'est-ce qui garantit que les fonds envoyés pour les myopathies ne seraient pas mieux utilisés pour d'autres maladies aussi cruelles et orphelines ?
La gageure pour l'avenir est donc de trouver le bon «mix» entre les différentes solidarités et de bien organiser chacune de celles-ci. Il s'agit d'un choix de société qui doit faire l'objet d'un débat large et d'un consensus fort au sein de ses membres pour assurer la cohésion sociale. Il doit tenir compte des aspects historiques et culturels. La part doit aussi être faite entre ce que l'Etat peut (et doit) prendre en compte et ce qui sort de son champ (question du périmètre). Mais aussi de la part entre responsabilité individuelle et collective. On ne peut donc de façon tranchée décréter la supériorité d'un modèle sur un autre tant le contexte est important. Ainsi, les Etats-Unis présentent contrairement à la France une logique distributive très basse. Mais ils ont développé (à cause de cela ? ou grâce à cela ?) une solidarité inter-individus bien au-delà ce qu'on voit en France : solidarité au sein de la communité (quartier, groupes d'intérêts communs, ...) ou dons des plus riches à des associations, des organisations caritatives, des fondations, des universités (exemples célèbre de Bill Gates et Warren Buffet).
La solidarité, au sens de Durkheim, correspond aux liens invisibles qui relient les individus entre eux et qui font que la société « tient » : la solidarité est le « ciment » de la société. Elle peut prendre deux formes celle fondée sur la similitude des comportements des individus et des valeurs de la société (c’est la solidarité mécanique) et celle fondée sur la complémentarité des activités et des fonctions des individus (c’est la solidarité organique).
Définition
La solidarité mécanique, pour E. Durkheim, est une forme de cohésion sociale fondée sur la similitude des comportements des individus et des valeurs de la société. La similitude des comportements et l’identité commune des individus font qu’il n’y a pas de conflit portant sur les valeurs et les normes de la société. C’est la cohésion sociale de sociétés peu différenciées, traditionnelles ou de groupes sociaux réduits, où la conscience collective d’appartenir au groupe prime. La solidarité organique, toujours pour E. Durkheim, est une cohésion sociale fondée sur la complémentarité des activités et des fonctions des individus. La cohésion sociale repose donc sur la coopération nécessaire entre individus ; la spécialisation fait que chacun a besoin des autres ce qui se traduit par un système de droits et d’obligations les uns vis-à-vis des autres. C’est la cohésion qui devrait exister dans des sociétés dans lesquelles la division du travail est très importante (très grande diversité des fonctions exercées par les individus) c’est-à-dire dans les sociétés développées. La conscience individuelle peut donc s’exprimer.
Indicateurs
Les indicateurs de l’existence de l’une ou l’autre forme de solidarité ne prend pas la forme de statistique. Dans l’approche de Durkheim, c’est le type de droit ou de justice qui permet de détecter leur existence. Pour Durkheim, la solidarité mécanique peut être repérée par l’existence d’un droit essentiellement répressif, selon son expression. Celui qui ne respecte les valeurs et normes communes doit être puni d’une façon ou d’une autre (privation de liberté, amende, etc.). L’individu coupable doit souffrir du mal qu’il a fait à la société en ne respectant pas ses règles et ses valeurs. La solidarité organique peut être reconnue par l’existence d’un droit essentiellement restitutif. L’individu qui est en faute doit réparer le mal qu’il a fait aux autres membres de la société : il a rompu la complémentarité et la coopération entre individus propre par cette forme de solidarité. Il doit réparer, « remettre en l’état » (en restituant le bien pris, en réalisant des travaux d’intérêt général, en versant des « dommages et intérêts », etc.). Pour la société, il ne s’agit plus de le faire souffrir de la rupture des liens qu’il a causée mais de permettre à nouveau la coopération entre individus. On peut ajouter que l’absence de solidarité peut se mesurer à l’aide de données statistiques. Ainsi, pour Durkheim, une augmentation des taux de suicide et des taux de criminalité peut être le signe, la mesure, d’une tendance à l’affaiblissement de la solidarité : l’absence de normes, de valeurs communes acceptées par tous (voir la notion « anomie ») du fait de changements sociaux implique l’absence de contraintes et peut se traduire par l’augmentation de comportements criminels.
Tendances
Pour Durkheim, ce sont les sociétés primitives ou très anciennes qui connaissent des formes de solidarité mécaniques alors que ce sont les sociétés modernes qui connaissent des formes de solidarité organique. Du point de vue historique, nos sociétés seraient passées d’une forme de solidarité mécanique à une forme de solidarité organique du fait de la tendance à l’approfondissement de la division du travail : dans les sociétés préhistoriques, les fonctions des individus étaient peu différenciées ; elles le sont devenues de plus en plus. Par conséquent ce qui fait la cohésion de la société n’est plus le partage de valeurs communes mais la coopération de nombreux individus différents mais utiles les uns pour les autres.
Enjeux
Le premier enjeu est de se demander si la division du travail seule peut permettre la cohésion d’une société. Le second est de savoir si la solidarité organique a totalement fait disparaître l’existence de solidarités mécaniques. En effet, si la division du travail s’accompagne d’une interdépendance accrue entre individus et donc de plus de coopération, elle s’accompagne aussi d’une plus grande diversité des situations au sein de la société. Or, cette diversité peut être source de problèmes divers : développement de l’individualisme (voir cette notion) et donc absence de valeurs communes, hiérarchie sociale pas forcément acceptée, etc. Ce sont les fondements de la cohésion sociale qui peuvent être altérés et conduire au développement de l’anomie. Toutefois, des formes de solidarité mécanique soit perdurent soit peuvent être créées ce qui réduit ce risque. C’est ainsi que, par exemple, l’existence de groupes sociaux qui ont une forte identité peut attacher l’individu à la société et favoriser son intégration sociale. On peut ainsi penser aux identités culturelles géographiques (les bretons, les catalans…). De plus, précise Durkheim, des valeurs collectives peuvent être créées qui attachent l’individu à la société dans son ensemble par l’école notamment. Enfin, l’existence de règles collectives coordonnant des activités socioprofessionnelles spécialisées peuvent faire prendre conscience de l’utilité de chacun : dans le domaine professionnel, les accords d’entreprise, les conventions collectives favorisent la vie collective malgré des divergences d’intérêts.
Erreurs Fréquentes
Confondre solidarité au sens de Durkheim et solidarité au sens courant du terme. Croire qu’il n’existe plus de solidarité mécanique. Penser que l’individualisme, lié à la solidarité organique, est automatiquement source de repli sur soi et d’absence d’intégration et de cohésion sociale. Source : http://ses.webclass.fr/notion/solidarite-mecaniqueorganique
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Les Chaudronneries
07 avr. 2020
Étymol. et Hist. 1. 1584 dr. obligation solidaire (J. Duret, Commentaire aux coustumes du duché de Bourbonnois, § 35, p. 274); 2. id. « se dit des personnes liées par un acte solidaire » (Id., ibid.); 3. 1739-47 « se dit des personnes qui ont une communauté d'intérêts ou de responsabilités » (Caylus, Œuvres badines, X, 41); 4. 1834 « se dit des choses qui dépendent l'une de l'autre » (Béranger, Acad. et Cav. ds Littré); 5. 1861 mécan. « se dit des pièces d'un engrenage dont le fonctionnement est lié » (M. Cournot, Traité de l'enchaînement des idées fondamentales dans les sc. et dans l'hist., t. 1, p. 80). Dér. de solide*; suff. -aire1*, pour rendre compte du lat. jur. in solidum « pour le tout », « solidairement ».
Trouver le bon équilibre entre les différentes formes de solidarité
Notre blogueur Nicolas Quint s'est emparé du sujet de sciences éco et sociales «Comment la solidarité s’exerce-t-elle en France aujourd’hui?» Copie rendue en 2 heures 30 chrono, pause thé/clope comprise.
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Ils sont neuf à passer le bac pour Libé.fr cette année, toutes matières confondues ou presque. Aucune autre consigne que celle de rendre «en temps réel» un exercice libre plutôt qu'un corrigé. Nous avons collé l'épreuve des SES (sciences économiques et sociales) à Nicolas Quint, conseiller financier et tenancier d'un blog sur Libé, «Résultat d’exploitation(s)». Et bachelier discipliné: copie garantie sans recours à la calculatrice et encore moins à Google.
Sujet de la dissert, avec documents (à voir ici en pdf): «Comment la solidarite? s’exerce-t-elle en France aujourd’hui ?»
La documentation fournie avec le sujet pose le problème de la dichotomie entre deux modes de solidarité: l'une basée sur un mode de redistribution fondée sur les cotisations sociales obligatoires et une autre basée sur des redistributions volontaires s'exerçant dans le cadre de l'entourage (solidarités inter-générationnelles) ou de la collectivité (dons, humanitaire...).
Ces documents centralisent par contre les contributions sur le travail (cotisations sociales) en faisant peu de cas des autres formes d'apports (impôts et taxes sur le travail mais aussi sur le capital ou les revenus du capital ce qui élargit le champ des possibles).
Il est évident que cette question traverse tout les pays «avancés» pour le dire court ou tout du moins les pays les plus industrialisés et où des modèles sociaux sont en place. Et notamment la France et son modèle social hérité de l'immédiat après-guerre.
La question est centrale car elle touche les fondements de la vie collective. Et elle est fortement clivante entres les individus, les opinions politiques et les pays (les modèles sociaux étant très différents allant des très redistributifs modèles scandinaves aux très individualistes modèles anglo-saxons où s'exercent d'autres formes de solidarité passant hors des fourches caudines de l'Etat et de l'administration).
Parlons de «solidaritéS»
Néanmoins, il est difficile de raisonner de façon globale. On ne peut parler de «solidarité» mais de «solidaritéS». Si l'on regarde les graphiques fournis avec le sujet, on peut distinguer les grandes masses suivantes :
Retraites : 38%
Maladie/invalidité/accidents du travail/maternité : environ 37%
Aide aux plus démunis : 11%
Politique familiale : 8%
Chômage : 6%
Ces différentes solidarités ont bien entendu des points communs mais aussi beaucoup de différences sur lesquelles il faut s'attarder pour bien cerner le problème.
I) Première solidarité, les retraites
Il s'agit d'une forme de solidarité inter-générationnelle et sans doute la plus ancienne. Elle a de tout temps été exercée (et l'est toujours) dans les sociétés traditionnelles, avec un Etat faible et peu centralisé, au sein de la cellule familiale. Les parents élèvent leurs enfants qui s'occupent ensuite à leur tour de leurs parents quand ceux-ci ne sont plus en âge d'être productifs. Cette solidarité est donc basée sur une réprocité, l'intérêt des membres de la société étant convergent.
Tous les individus ont été jeunes et donc dépendants de leurs parents. Tout individu est appelé — en principe — à devenir vieux et à dépendre de ses enfants. Les modèles étatiques mis en œuvre ont pour principe de reproduire plus ou moins fidèlement cet état de fait à l'ensemble d'une société. Pour cela, deux grands modèles sont possible :
La retraite par répartition: c'est le modèle le plus fidèle au modèle traditionnel. Par ce biais, les actifs (généralisation des «enfants») paient pour les retraites (des «parents»)
La retraite par capitalisation (fonds de pension): ce modèle brise le modèle traditionnel. Il part du principe que l'individu ne doit compter que sur lui-même pour ses vieux jours. Aussi, il doit épargner de quoi subsister lorsqu'il aura fini de travailler. Dans ce mode, on n'est plus dans une logique solidaire mais plutôt dans un glissement vers l'épargne (auto-assurance) ou une logique assurantielle (assurance via un tiers)
a) Les situations selon les pays
Les pays anglo-saxons (Angleterre, Etats-Unis) ont massivement adopté le système par fonds de pension tandis que les pays d'Europe continentale ont eux opté pour la répartition. Diviser le monde selon cette ligne de fracture est évidemment fortement réducteur. Il est possible de mixer les deux modes au sein d'un même pays.
La France a fait un petit pas dans cette direction en mettant en œuvre un fonds de pension réservé aux fonctionnaires (Prefon) et en mettant en place des systèmes de cotisation-retraites avec avantages fiscaux.
De toute façon, un système par répartition coexiste toujours avec de la capitalisation, les individus épargnant de leur propre initiative (et se constituant un patrimoine). De la même façon, le modèle par capitalisation est rarement «pur». Aux Etats-Unis, la répartition existe (Social Security) même si elle est particulièrement faible (7% de cotisations).
b) Les défauts du système par capitalisation
Les fonds de pension peuvent présenter plusieurs défauts. Outre celui abondamment cité de l'absence de solidarité, il y a le fait qu'une société peut présager de son espérance de vie moyenne mais un individu ne le peut pas. Dès lors, on peut constater des comportements soit de sous-épargne (entraînant une pauvreté subséquente qui pèsera sur l'individu et/ou la société) ou de sur-épargne qui ralentira la croissance économique par «excès de précaution».
Les pays anglo-saxons, qui ont adopté dans leur majorité le modèle par capitalisation, pèchent en général par sous-épargne (taux d'épargne très faible voire négatif aux USA et en Angleterre et endettement très fort des ménages). Dès lors, il y a un risque fort de paupérisation des classes âgées et d'impossibilité de traitement des problèmes liés à l'âge (dépendance notamment).
Par ailleurs, les fonds de pension posent le problème de la gestion des fonds accumulés. Ceux-ci ne peuvent être gelés sous peine d'être érodés par l'inflation. Il est alors nécessaire de les placer sur les marchés financiers pour faire fructifier cette accumulation d'argent. Cela pose des problèmes de diversification (l'affaire Enron a montré la ruine des futur-retraités ayant massivement placé leur épargne-retraite en actions «maison») et de la volatilité des marché.
Si le placement sur les marchés financiers montre, de façon rétrospective, un rendement relativement stable et important, le salarié peut être amené à différer son départ en retraite de plusieurs années après un krach boursier.
Enfin se pose la question de l'influence sur l'économie globale des fonds de pension dont les portefeuilles peuvent devenir énormes: dès lors, leurs choix d'investissement influent sur le monde entier (le retraité californien dont la retraite est gérée par Calpers peut modifier indirectement la répartition capital/salaires d'une entreprise du CAC40).
c) Les défauts du système par répartition
Mais le système par répartition n'est pas absent de tout reproche. Son principal défaut est de très mal gérer les transitions démographiques. On le voit avec l'avènement du «Papy-boom» (corollaire du Baby-boom d'après-guerre). Par ailleurs, il peut éroder, en cas de déséquilibres, la confiance des individus dans le système.
C'est le cas aujourd'hui en France. Les jeunes cotisants sont de plus en plus nombreux à penser qu'ils cotisent «à perte» et n'auront pas de retraite digne de ce nom. Or, le système est basé sur la confiance et la réciprocité. Il court donc un risque majeur.
II) Deuxième solidarité, la maladie
Je traite ici de façon indifférente la maladie, l'invalidité, les accidents du travail, qui constituent des «accidents de la vie». Je range dans la même catégorie la maternité qui ne peut évidemment être assimilée à un accident !
On a ici également une forme de solidarité naturelle mais à un moindre titre que pour les retraites. L'aide au malade remonte sûrement aussi loin que la solidarité inter-générationnelle mais à un moindre titre.
Dans des sociétés anciennes agricoles, le malade pouvait faire porter un poids impossible à prendre en charge à une famille. Dès lors, il fallait des structures palliatives (monastères, couvents, hôtel-dieu financés par les héritages des plus riches, etc.).
Autre différence notable : chacun peut s'identifier et se projeter dans la retraite. S'il est bien entendu difficile de tracer une forme linéaire de la vie d'un être humain, chacun imagine sa vie en temps bien définis «enfance / études / travail / retraite». Pour la maladie et les autres «accidents de vie» il en va autrement puisque ces faits se produisent de façon plus ou moins aléatoire et ne sont pas prévisibles. Ainsi, la solidarité peut être érodée par le fait qu'un jeune homme en pleine santé ait du mal à concevoir le paiement de lourdes charges sociales au profit de malades dont il ne s'imagine pas (ou ne veut pas s'imaginer, le déni a ici une part non négligeable !) être un jour concerné.
Autre question centrale: celle de la responsabilité individuelle. En effet, les comportements individuels n'ont pas leur place dans les solidarités type «retraite». Au contraire, les comportements individuels à risque (alcool, cigarette...) pénalisent l'individu mais favorisent la société.
Dans la maladie, c'est l'inverse. Dès lors, un risque existe de voir se développer des formes de discrimination de traitements (et/ou de redistribution) en fonction du comportement de chacun (fumeur ou non, buveur ou non, obèse ou non, ...). Soit un glissement du solidaire vers le moral. De l'objectif au jugement. On mesure ici le rôle fondamental d'une solidarité nationale qui va pouvoir supprimer ou gommer cet aspect moral alors qu'une privatisation de ses services va inévitablement entraîner (à plus ou moins long terme) un glissement de cet ordre.
a) Situations selon les pays
Là encore, on peut distinguer les deux cas selon les pays : solidarité nationale ou solidarité individuelle (logique assurantielle).
Le cas américain (avant réforme Obama) est éclairant : seuls les plus démunis (MEDICAID) et les plus âgés (MEDICARE) sont couverts par l'Etat (soit un glissement vers l'Assistance aux plus démunis). Pour le reste, chaque individu va s'assurer auprès de compagnies privées selon une logique personnelle (tarif selon l'âge, le sexe, la santé...).
Par ailleurs, des biais purement assurantiels se mettent en œuvre: limitations de garantie (arrêt d'un traitement de chimiothérapie car le plafond est atteint), franchise (traitements annuels remboursés seulement au-dessus d'un certain seuil). Mais il serait faux de totalement opposer le système américain au système français.
En effet, à côté de la Sécurité Sociale (CNAM) co-existent des mutuelles privées (ou la CMU financée par l'impôt pour les plus démunis). Les remboursements effectués par les mutuelles dans l'ensemble sont en augmentation constante (même si seulement de 10 à 15% au global) à cause des déremboursements partiels ou complets (selon le principe du Service Médical Rendu) et de la mise en œuvre de la «responsabilisation des patients» (logique de paiement minimal de l'assuré que l'on retrouve aux USA sous la forme de «co-pay»).
b) Les reproches récurrents faits au système français
Le reproche fait au système «à la française» (majoritairement géré par la collectivité) est celui de la déresponsabilisation des assurés et donc des abus du système. En effet, l'assuré n'est que très peu (voire pas) impliqué dans le paiement de façon directe (il l'est de façon indirecte via les cotisations) et les systèmes mis en œuvre (carte vitale, tiers-payant) occultent «physiquement» l'aspect monétaire. Des actions sont menées en France pour aller dans le sens de plus de responsabilisation (envoi de relevés).
On pourrait dès lors penser qu'un système «à l'américaine» soit plus économe. Il n'en est rien. La part du PIB consacré à la santé est plus élevée aux Etats-Unis (plus de 12% contre un peu moins de 10% en France) pour une efficacité contestable. Le système assurantiel génère ses propres biais et abus et, pour considérer l'efficacité du système de santé, il faut juger de la demande et de ses moyens (ce que nous venons de faire) mais aussi de l'offre.
Enfin, il y a la question du sens. Le «trou de la Sécu» est devenu quasi proverbial et il est de bon ton de s'en désoler. La question est donc «consomme-t-on trop de santé ?» ou «ne consacre-t-on pas assez de ressources à la santé ?» (ou les deux). La réponse en général apportée est souvent la première : abus du système, surconsommation médicamenteuse, abus de certains actes par les praticiens (césarienne)...
c) Une meilleure santé coûte mais rapporte aussi
S'il est naïf de contester ces aspects et si l'efficacité des systèmes de redistribution n'est jamais neutre dans l'équation, il est également nécessaire de s'interroger sur la seconde partie. En effet, une meilleure santé coûte inévitablement de l'argent mais elle en rapporte aussi. De façon «pure» (années de production, cotisations supplémentaires, ...) mais aussi indirectes (travail bénévole, transmission culturelle ...).
Une année de vie humaine a par ailleurs une valeur subjective mais bien réelle qu'il faut prendre en compte. Des études ont été menées en prenant en compte une valeur de vie humaine «objectivée» de 100.000$/an. Elles montrent que l'optimum pour la société de dépenses de santé ne se situe pas à 10 ou 12% comme actuellement mais plutôt au double ! Dès lors, la question n'est pas de savoir comment réduire les dépenses de santé mais de comment les financer !
Autre poncif à éviter : celui qui voudrait que le vieillissement de la population (lié à l'augmentation de l'espérance de vie) soit à la source de la hausse des dépenses de santé. Cette source n'est que marginale.
L'essentiel de la croissance des dépenses de santé est lié à la mise en circulation de nouvelles pratiques médicales (exemple: les stents ont remplacé les pontages) qui coûtent en général plus cher mais rendent un meilleur service). Par ailleurs, il est montré que, si les dépenses de santé s'accroissent avec l'âge, elles augmentent surtout massivement dans les 12 à 18 mois avant la mort. Or, la mort se «déplaçant» avec l'augmentation de l'espérance de vie, l'effet est neutre. Faut-il pour autant pousser l'euthanasie? Là encore, au-delà de l'aspect moral, des études ont montré l'aspect faiblement prédictif de l'avis des médecins sur la mortalité liée à un traitement (ou à son absence) pour les patients âgés.
III) Troisième solidarité, le chômage
C'est la forme de solidarité la plus fragile car la plus récente. En effet, le chômage massif n'est apparu qu'il y a 35 ans environ et son caractère inéluctable (taux de plein-emploi considéré aux alentours de 4 à 5% de chômage) et non-temporaire plus récemment encore.
a) L'identification crée l'empathie
Aussi, les opinions défiantes à l'encontre des chômeurs sont encore très prégnantes (soupçons d'abus du système, paresse, aspect désincitatif ...). Mais elles régressent devant le fait que de plus en plus de personnes vivent dans la peur d'être eux-mêmes au chômage.
Dès lors, l'identification crée l'empathie et tend à faire espérer un recul de ces comportements. Néanmoins, ce caractère «soupçonneux» dépend aussi de la réalité culturelle de la société. En France, 60% des sondés estiment qu'il est acceptable de frauder le système d'aides contre 5% au Danemark...
Le chômage semble la solidarité la plus facile à régler en termes de volume. En effet, un chômage de 8% implique schématiquement une sur-cotisation de 8% pour ceux qui sont employés. Le problème ne paraît pas insurmontable. Ce sont les variations du taux de chômage qui posent des difficultés. En effet, le système n'est pas en régime stable mais profondément cyclique. Ainsi alternent les phases de stabilité avec les phases de profond déficit. Une gestion rigoureuse, un niveau de cotisations adapté et un système de «fonds de lissage» doivent néanmoins réussir à solutionner le problème.
b) Avantages et inconvénients de la logique assurantielle
Là encore, on peut distinguer la logique de système global géré par l'Etat de la logique assurantielle. La France fournit un bon exemple car elle mixe les deux systèmes.
En effet, des trois types de solidarités que nous avons vu jusque-là, c'est celle qui est la moins généralisée en France. Il existe tout un pan d'individus qui ne peuvent pas participer au système, notamment tous ceux que l'on nomme les TNS (Travailleurs non salariés): dirigeants d'entreprises (de l'entreprise mono-personnel à la multinationale), les professions libérales, les commerçants, les artisans, soit plusieurs millions de personnes.
Cette dichotomie est d'autant plus infondée que les TNS ont un risque structurellement plus élevé de chômage que la majeure partie des salariés (notamment les entrepreneurs). On peut donc s'appuyer sur l'exemple français pour voir les désavantages d'une logique assurantielle. Tout d'abord, elle décourage le risque. Celui qui s'aventure dans une voie plus risquée (changement de métier, création d'entreprise, ...) est pénalisé.
On a donc un effet qui défavorise la créativité et la liberté individuelle. Par ailleurs, un système assurantiel, notamment dans une société comme la France avec une multiplicité de statuts très fragmentés (fonctionnaires, CDD, CDI, intérimaires, ...), augmente les fractures entre les types de salariés. Un CDD connaît plus de précarité qu'un CDI par définition. Dans une logique assurantielle, il sera en plus pénalisé par une cotisation plus lourde et/ou des droits ouverts plus faibles
IV) Quatrième solidarité, l'aide aux plus démunis
Cette forme de solidarité est ancienne mais n'est gérée par les Etats que depuis relativement récemment. Elle recouvre en fait la notion de «charité» qui était faite aux indigents. Elle était avant tout l'apanage de l'Eglise puisque relevant de sa doctrine mais aussi des individus (mendicité, hospitalité...).
On peut être amené ici à faire une distinction entre les solidarités: le chômage et la retraite sont des solidarités du monde du travail. La maladie (sous toutes ses formes) penche plus vers une solidarité globale à la société. L'aide aux démunis dépend de la société tout entièrement. Son financement ne peut donc reposer sur une base de cotisations portant sur le travail mais sur l'impôt.
a) Périmètre difficile à tracer
Le champ de cette solidarité est plus complexe à définir que les précédents. La retraite, la maladie, le chômage sont des états hautement objectivables. Le fait d'être démuni est un état protéiforme qui peut recouvrir de nombreuses réalités en partie subjectives. Son périmètre est également difficile à tracer.
On peut établir un contour en s'appuyant sur les besoins «de base» de l'Homme : nourriture, logement, santé, habillement... A ces subjectivités, s'en ajoute une autre qui est une entrave à la solidarité: celle de savoir ce qui a mis le démuni en situation de l'être. La responsabilité en incombe-t-elle à la société (qui doit alors «réparer») ou à l'individu ? Il est fort probable que la responsabilité soit mutuelle, dans des proportions variables selon les individus. Mais cette question mine la solidarité comme on le voit avec la question des SDF («ils sont dehors car ils l'ont choisi»).
b) Du ressort de l'Etat ou des individus?
Dans ce champ coexiste des dispositifs régis par l'Etat (ASS, RSA Socle, CMU, ...) mais aussi une très forte part supportée par les solidarités inter-individus par l'intermédiaires d'associations ou d'ONG. C'est un bon exemple permettant de s'interroger sur ce qui doit être du ressort de l'Etat et ce qui doit être réglé par les individus eux-mêmes.
L'Etat permet de donner des gages de cohérence globale si le système est bien géré et notamment celui de l'égalité entre individus. Mais un Etat très fort et centralisateur s'occupant de tous les problèmes fait également mécaniquement régresser la solidarité directement adressée par les individus.
Ainsi, s'acquitter de l'impôt sous toutes ses formes (Impôt sur le revenu, TVA, CSG...) ou de ses cotisations sociales est la forme de solidarité la plus active financièrement. Mais l'indirection est telle au sein d'une société de plusieurs dizaines millions de personnes, qu'elle a des revers : impression de trop payer pour des bénéficiaires trop éloignés et indistincts, implication concrète très faible...
De plus, il existe un vrai besoin d'implication concrète «et physique» des individus dans la solidarité (par exemple travail bénévole des jeunes retraités). L'Etat doit donc laisser un espace (et au besoin le réglementer, l'organiser de façon à assurer la transparence et le respect de bonnes pratiques) pour que ces solidarités «actives» s'exercent.
V) Cinquième solidarité, la politique familiale
Cette solidarité est peut-être celle qui a le fondement historique le moins profond. Son but est dual: aider les familles à élever leurs enfants dans les meilleures conditions. Et, plus ou moins directement, promouvoir une politique nataliste. Les solidarités traditionnelles s'exerçaient principalement dans un mode intra-familial. Or, ici, on parle bien d'une immixtion de l'Etat dans la composition même de la cellule familiale.
a) Lisser les inégalités «de naissance»
Outre l'aspect lié au bonheur individuel (le droit à tous de grandir dans des conditions matérielles correctes), l'aide de l'Etat aux familles peut relever de deux buts. Le premier est de lisser les inégalités de chances de réussites sociales à la naissance.
En clair, de «casser» en partie la reproduction sociale. Evidemment, l'aide étant de nature financière et l'usage des ressources n'étant pas contrôlée, son caractère reste éminemment imparfait. Le rôle qu'a le bagage intellectuel et culturel des parents est très certainement au moins aussi fort (sinon plus) que l'aspect purement matériel.
b) L'accès à l'éducation
Le second but est de promouvoir indirectement, dans une société de plus en plus tournée vers le savoir, un accès à l'éducation plus favorable (les conditions financières entrant en ligne de compte dans les scolarisations longues ou dans les conditions de scolarisation des plus jeunes).
Ainsi, cet aspect est par essence récent puisque ce caractère n'était pas fortement utile à la société dans les sociétés massivement agraires.
c) Le poids de la natalité
L'autre but de la politique familiale et notamment l'accroissement fort des aides à partir du troisième enfant est la poursuite d'une politique nataliste.
Traditionnellement, les incitations des Etats en ce domaine avaient pour but soit de créer de la chair à canon pour les guerres soit de recréer une classe jeune active après les guerres. L'arrêt des conflictualités sur le sol européen rend caduc ce besoin. Dès lors, cette politique répond à d'autres problématiques : une logique conjoncturelle (faire plus d'enfants pour payer les retraites, ne pas avoir une pyramide des âges créant une société de « cheveux blancs ») et une logique structurelle (garder un poids démographique non négligeable à l'échelle européenne et mondiale). Les deux logiques sont de mon point de vue erronées : les conjoncturelles correspondent à des transitions démographiques et son par essence temporaire. Tenter de les corriger ne fait que déplacer le problème sans fin. La logique structurelle est vaine tant le poids démographique de la France dans le monde (1%) est déjà faible, notamment en regard des grandes puissances démographiques (Chine, Inde, USA, ...).
Plus globalement, et sans tomber dans un Malthusianisme effréné, la logique de la croissance démographique à tout prix semble tendancieuse puisqu'elle ne peut qu'avoir un terme (la surface de la Terre étant fixe) et qu'elle fait peser plus fortement sur l'environnement (ressources naturelles, énergie fossile, production de CO2, urbanisation, ...). La politique nataliste à tout prix semble donc aujourd'hui semble fondement. Dès lors, le poids (relatif certes) accordé à celle-ci paraît injustifié.
Une bonne politique familiale serait à mon sens celle qui permettrait d'assurer aux femmes (et aux familles en général) un libre choix et qui permette de ne pas avoir un taux de natalité trop bas pour s'assurer qu'il n'y ait pas une cassure démographique trop forte (transition « en douceur »).
d) Les aides aux jeunes mères
Un des arguments qui est souvent donné est que la politique familiale dans son ensemble « marche » en France puisque celle-ci atteint presque le seuil de renouvellement des générations (2.07 enfants/femme) contrairement à certains autres pays européens (Italie, Allemagne) ou le Japon par exemple.
On peut tout d'abord citer le contre-exemple américain qui réussit à garder une natalité très vive malgré une politique familiale extrêmement réduite (on peut certes alléguer que c'est l'immigration qui permet cela mais même les familles américaines vivant sur le sol depuis plusieurs générations gardent une natalité élevée). Surtout, c'est faire fi des aspects culturels. Elisabeth Badinter, dans son livre Femmes et Mères : le conflit, montre la prégnance des aspects culturels dans le taux de natalité. Ainsi, les femmes allemandes ne font pas moins d'enfants quand elles en font.
Mais si 10% des femmes françaises ne font pas d'enfant (par choix ou par contrainte), plus de 20% des Allemandes sont dans ce cas. Et près de 40% des CSP+ allemandes. Ceci tient au rôle que tient la mère dans la société. Plus les attentes de la société (famille, entourage, ...) sont fortes (allaitement long, rester à la maison auprès de son enfant le plus longtemps possible, ...) plus le taux de natalité est faible car la poursuite d'une carrière ne peut se conjuguer avec des enfants (surtout plusieurs). Ainsi, les femmes se retrouvent à choisir entre leur carrière et le fait d'avoir un enfant avec le risque qu'un nombre important d'entre elles optent pour le second choix. C'est le cas en Allemagne ou encore en Italie ou le modèle matriarcal est très affirmé.
L'influence économique la plus importante sur la natalité, attestée par des études, porte sur les aides aux jeunes mères concernant la garde de leur enfant : places de crèche, aides à l'embauche de « nounous », ... Aussi, une politique ciblée sur cet aspect permettrait de se débarrasser des scories natalistes, de conserver un budget raisonnable en ce domaine tout en garantissant l'aspect primordial qu'est le libre choix donné aux parents.
Trouver le bon mix
On voit donc que la question de la solidarité doit se poser sur un mode pluriel :
- Type de solidarité
- Solidarité objectivable (chômage) ou subjective (pauvreté)
- Solidarités dues au hasard, d'ordre systémique ou d'ordre individuel (choix personnels), les trois composantes étant présentes en proportion inégales dans chaque type de solidarité
- Solidarités liées au travail (chômage) ou relevant de la société toute entière (maladie, pauvreté)
Pour chaque type de solidarité, trois type réponses peuvent être élaborées, souvent de façon conjointe mais dans des proportions très variables :
- Logique redistributive : contribution via le travail ou l'impôt et redistribution par l'Etat
- Logique assurantielle : l'individu s'assure contre les risques volontairement et en fonction de sa situation
- Logique inter-familiale : lien de solidarité de la famille, la forme la plus ancienne de solidarité
- Logique inter-individus : solidarité volontaire par le biais d'organisations humanitaires et d'ONG
Les quatre logiques existent dans toutes les sociétés développées. Le « mix français » fait la part belle à la logique redistributive (le « modèle social français ») au détriment de la logique assurantielle (qui existe néanmoins, par exemple par les mutuelles complémentaires ou les régimes de prévoyance). Les logiques inter-familiales sont dépendantes des sociétés (organisation de la cellule familiale avec des typologiques marquées comme le modèle « méditerranéen »). Enfin, la logique « inter-individus » est présente et même encouragée par l'Etat (défiscalisation des dons).
Le principal avantage de la logique redistributive des l'égalité qu'elle confère aux membres de la société. Elle garantit que tous les individus bénéficient des mêmes droits aux mêmes conditions quel que soit son âge, sa santé, ... au contraire de la logique assurantielle qui va pénaliser ceux qui sont déjà pénalisés. L'impasse du « modèle social français » n'est pas à chercher dans les biais de ce système (qui existent comme dans tous les systèmes) mais dans la faillite des promesses. En effet, l'Etat a promu dès 1945 un corporatisme fort qui fait que tout le monde n'a pas les mêmes droits aux mêmes conditions. On peut ici multiplier les exemples à l'infini (différences privé/public, les TNS ne peuvent participer au régime d'assurance chômage, régimes spéciaux de retraite, ...). Ainsi, l'Etat français conserve les biais du système redistributif mais n'en tient pas ses promesses. Il a remplacé les inégalités de la logique assurantielle par d'autres inégalités (de statuts principalement).
Un autre des avantages de l'Etat est l'allocation (théorique) des ressources vers les besoins en fonction du bien commun et dans une vue d'ensemble (ce que l'assurantiel ne vise pas par exemple). On peut citer ici l'exemple du Telethon et de l'affaire « Pierre Bergé », celui-ci contestant la faible place médiatique donnée (et donc les faibles dons) du Sidaction par rapport au Téléthon. Il s'agit là d'un vrai problème mais si Pierre Bergé ne le prend pas dans son ensemble. En effet, l'Etat dispose d'un budget (trop faible) dédié à la recherche médicale publique. Il dispose des informations et de l'impartialité (théorique) pour permettre une allocation des ressources pour le bien commun. Ainsi, il répartira les enveloppes vers le SIDA ou la mucoviscidose en fonction de la prévalence, de la gravité, de la présence d'une voie de recherche prometteuse, ... Le basculement vers une solidarité « inter-individus » remplace l'allocation impartiale par un travail de lobbying où ceux qui ont accès à la ressource médiatique « ont gagné ». En cela, qu'est-ce qui garantit que les fonds envoyés pour les myopathies ne seraient pas mieux utilisés pour d'autres maladies aussi cruelles et orphelines ?
La gageure pour l'avenir est donc de trouver le bon «mix» entre les différentes solidarités et de bien organiser chacune de celles-ci. Il s'agit d'un choix de société qui doit faire l'objet d'un débat large et d'un consensus fort au sein de ses membres pour assurer la cohésion sociale. Il doit tenir compte des aspects historiques et culturels. La part doit aussi être faite entre ce que l'Etat peut (et doit) prendre en compte et ce qui sort de son champ (question du périmètre). Mais aussi de la part entre responsabilité individuelle et collective. On ne peut donc de façon tranchée décréter la supériorité d'un modèle sur un autre tant le contexte est important. Ainsi, les Etats-Unis présentent contrairement à la France une logique distributive très basse. Mais ils ont développé (à cause de cela ? ou grâce à cela ?) une solidarité inter-individus bien au-delà ce qu'on voit en France : solidarité au sein de la communité (quartier, groupes d'intérêts communs, ...) ou dons des plus riches à des associations, des organisations caritatives, des fondations, des universités (exemples célèbre de Bill Gates et Warren Buffet).
Nicolas Quint —
Source : https://www.liberation.fr/societe/2010/06/22/trouver-le-bon-equilibre-entre-les-differentes-formes-de-solidarite_660897
Solidarité mécanique/organique dÉmile Durkheim.
Lexique
La solidarité, au sens de Durkheim, correspond aux liens invisibles qui relient les individus entre eux et qui font que la société « tient » : la solidarité est le « ciment » de la société. Elle peut prendre deux formes celle fondée sur la similitude des comportements des individus et des valeurs de la société (c’est la solidarité mécanique) et celle fondée sur la complémentarité des activités et des fonctions des individus (c’est la solidarité organique).
Définition
La solidarité mécanique, pour E. Durkheim, est une forme de cohésion sociale fondée sur la similitude des comportements des individus et des valeurs de la société. La similitude des comportements et l’identité commune des individus font qu’il n’y a pas de conflit portant sur les valeurs et les normes de la société. C’est la cohésion sociale de sociétés peu différenciées, traditionnelles ou de groupes sociaux réduits, où la conscience collective d’appartenir au groupe prime. La solidarité organique, toujours pour E. Durkheim, est une cohésion sociale fondée sur la complémentarité des activités et des fonctions des individus. La cohésion sociale repose donc sur la coopération nécessaire entre individus ; la spécialisation fait que chacun a besoin des autres ce qui se traduit par un système de droits et d’obligations les uns vis-à-vis des autres. C’est la cohésion qui devrait exister dans des sociétés dans lesquelles la division du travail est très importante (très grande diversité des fonctions exercées par les individus) c’est-à-dire dans les sociétés développées. La conscience individuelle peut donc s’exprimer.
Indicateurs
Les indicateurs de l’existence de l’une ou l’autre forme de solidarité ne prend pas la forme de statistique. Dans l’approche de Durkheim, c’est le type de droit ou de justice qui permet de détecter leur existence. Pour Durkheim, la solidarité mécanique peut être repérée par l’existence d’un droit essentiellement répressif, selon son expression. Celui qui ne respecte les valeurs et normes communes doit être puni d’une façon ou d’une autre (privation de liberté, amende, etc.). L’individu coupable doit souffrir du mal qu’il a fait à la société en ne respectant pas ses règles et ses valeurs. La solidarité organique peut être reconnue par l’existence d’un droit essentiellement restitutif. L’individu qui est en faute doit réparer le mal qu’il a fait aux autres membres de la société : il a rompu la complémentarité et la coopération entre individus propre par cette forme de solidarité. Il doit réparer, « remettre en l’état » (en restituant le bien pris, en réalisant des travaux d’intérêt général, en versant des « dommages et intérêts », etc.). Pour la société, il ne s’agit plus de le faire souffrir de la rupture des liens qu’il a causée mais de permettre à nouveau la coopération entre individus. On peut ajouter que l’absence de solidarité peut se mesurer à l’aide de données statistiques. Ainsi, pour Durkheim, une augmentation des taux de suicide et des taux de criminalité peut être le signe, la mesure, d’une tendance à l’affaiblissement de la solidarité : l’absence de normes, de valeurs communes acceptées par tous (voir la notion « anomie ») du fait de changements sociaux implique l’absence de contraintes et peut se traduire par l’augmentation de comportements criminels.
Tendances
Pour Durkheim, ce sont les sociétés primitives ou très anciennes qui connaissent des formes de solidarité mécaniques alors que ce sont les sociétés modernes qui connaissent des formes de solidarité organique. Du point de vue historique, nos sociétés seraient passées d’une forme de solidarité mécanique à une forme de solidarité organique du fait de la tendance à l’approfondissement de la division du travail : dans les sociétés préhistoriques, les fonctions des individus étaient peu différenciées ; elles le sont devenues de plus en plus. Par conséquent ce qui fait la cohésion de la société n’est plus le partage de valeurs communes mais la coopération de nombreux individus différents mais utiles les uns pour les autres.
Enjeux
Le premier enjeu est de se demander si la division du travail seule peut permettre la cohésion d’une société. Le second est de savoir si la solidarité organique a totalement fait disparaître l’existence de solidarités mécaniques. En effet, si la division du travail s’accompagne d’une interdépendance accrue entre individus et donc de plus de coopération, elle s’accompagne aussi d’une plus grande diversité des situations au sein de la société. Or, cette diversité peut être source de problèmes divers : développement de l’individualisme (voir cette notion) et donc absence de valeurs communes, hiérarchie sociale pas forcément acceptée, etc. Ce sont les fondements de la cohésion sociale qui peuvent être altérés et conduire au développement de l’anomie. Toutefois, des formes de solidarité mécanique soit perdurent soit peuvent être créées ce qui réduit ce risque. C’est ainsi que, par exemple, l’existence de groupes sociaux qui ont une forte identité peut attacher l’individu à la société et favoriser son intégration sociale. On peut ainsi penser aux identités culturelles géographiques (les bretons, les catalans…). De plus, précise Durkheim, des valeurs collectives peuvent être créées qui attachent l’individu à la société dans son ensemble par l’école notamment. Enfin, l’existence de règles collectives coordonnant des activités socioprofessionnelles spécialisées peuvent faire prendre conscience de l’utilité de chacun : dans le domaine professionnel, les accords d’entreprise, les conventions collectives favorisent la vie collective malgré des divergences d’intérêts.
Erreurs Fréquentes
Confondre solidarité au sens de Durkheim et solidarité au sens courant du terme. Croire qu’il n’existe plus de solidarité mécanique. Penser que l’individualisme, lié à la solidarité organique, est automatiquement source de repli sur soi et d’absence d’intégration et de cohésion sociale. Source : http://ses.webclass.fr/notion/solidarite-mecaniqueorganique
Étymol. et Hist. 1. 1584 dr. obligation solidaire (J. Duret, Commentaire aux coustumes du duché de Bourbonnois, § 35, p. 274); 2. id. « se dit des personnes liées par un acte solidaire » (Id., ibid.); 3. 1739-47 « se dit des personnes qui ont une communauté d'intérêts ou de responsabilités » (Caylus, Œuvres badines, X, 41); 4. 1834 « se dit des choses qui dépendent l'une de l'autre » (Béranger, Acad. et Cav. ds Littré); 5. 1861 mécan. « se dit des pièces d'un engrenage dont le fonctionnement est lié » (M. Cournot, Traité de l'enchaînement des idées fondamentales dans les sc. et dans l'hist., t. 1, p. 80). Dér. de solide*; suff. -aire1*, pour rendre compte du lat. jur. in solidum « pour le tout », « solidairement ».
Source : https://cnrtl.fr/etymologie/solidaire